Bouc-émissaire – Bouquet Mystère

par | Fév 17, 2023

Le bouc-émissaire est un personnage que l’on retrouve dans de nombreuses situations professionnelles. C’est souvent le malheureux de service, celui sur qui l’on reporte tous les torts et les fautes. Pourquoi cette fonction est-elle si répandue voire vitale dans toute organisation ?

 

Origines

Pour commencer, il faut savoir que le bouc-émissaire n’a pas toujours été un bouc. Dans les temps anciens, c’était un âne. D’origine religieuse, dont on date les sources vers 1200 avant J-C; on assistait régulièrement à un rituel codifié qui consistait à charger un âne de tous les péchés de la cité et de le traîner hors de la cité, où il était mis à mort ou abandonné à lui-même. Cette victime sacrificielle, innocente, sacrifiée au nom de la survie du groupe était censée ainsi protéger les habitants.

Avec l’arrivée des religions monothéistes, le bouc est devenu le symbole du mal et de la tentation, ce qui en a fait un choix parfait pour incarner le rôle du bouc-émissaire

 

Le rôle indispensable du bouc-émissaire

Le bouc-émissaire a un rôle très important dans un collectif. Il permet en effet de focaliser l’attention sur un seul individu, en lui attribuant toutes les fautes et les erreurs. Cela évite ainsi d’avoir à remettre en question l’ensemble du groupe, qui peut ainsi continuer à fonctionner comme si de rien n’était. C’est un peu comme si on avait un panier de fruits pourris, et que l’on enlevait un seul fruit pourri pour faire croire que le reste du panier est encore bon.

Il peut endosser des fonctions diverses dans l’entreprise, presque jamais une fonction vitale, on va le retrouver dans des fonctions support. A priori on ne connait pas vraiment son boulot. Il pourrait très bien occuper un poste à responsabilité. Prenons l’exemple d’Hervé, responsable du parc informatique, vous savez celui que vous appelez quand votre pc affiche un écran noir. Il arrive, et en 15 secondes, juste en tapant quelques lignes de codes à la vitesse de la lumière, votre PC fonctionne à nouveau. Il vous explique avec des termes particulièrement abscons que le proxy limite la bande passante. En d’autres mots, arrêtez de mater des vidéos en ligne, vous saturez le système.

Ainsi, s’il sait réparer aussi vite le système, c’est donc de sa faute quand ça ne fonctionne pas, forcément il aurait dû prévoir la coupure de courant, la panne du serveur, la machine à café en panne, le client qui ne rappelle pas. C’est forcément de sa faute si on perd un contrat, le devis au client n’est pas arrivé à cause du serveur, pourtant j’avais bien envoyé ma proposition à temps… Il commence à avoir le dos large notre ami Hervé. C’est bien pratique de se défouler sur lui, en plus quand ça ne marche pas il n’est jamais là.

Le bouc-émissaire – bouquet mystère

On ne sait jamais ce qu’on va lui reprocher ni quand, une chose est sûre c’est que son rôle est quasi indispensable. Il vous offre ce magnifique cadeau de pouvoir défouler votre frustration sur lui et d’éviter de vous remettre en cause, vous et le système : l’organisation, la communication, le process, la hiérarchie…

En bref, le bouc-émissaire est infiniment utile pour préserver l’homéostasie d’une organisation, c’est-à-dire l’équilibre instable et fragile de l’organisation dont l’ensemble s’efforce de maintenir en l’état au risque effrayant de devoir changer, avouer ses échecs, changer de regard, proposer autre chose. Il évite d’affronter les tabous, les non-dits.

Il nait de l’incapacité pour un groupe de repenser son propre système, ses valeurs, ses fondements.

Le bouc-émissaire est traduit du latin : « caper emissarius ». Vous noterez au passage que le nom commun caper désigne une arnaque…

L’immense majorité des individus et des organisations se battent farouchement pour maintenir cette homéostasie, le bous-émissaire, bien que victime innocente n’ait pas une fonction facile à tenir. En effet, il doit supporter le poids des fautes de tous les autres membres du groupe, sans jamais se rebeller. Il doit être prêt à endosser toutes les responsabilités, même si ce n’est pas lui qui est à l’origine des problèmes.

Le processus de bous-émissairisation en 7 étapes Selon René Girard* :

  • 1/ Phase apaisée :

Tout fonctionne correctement, chacun est à sa place. Pendant cette période, les personnes se scrutent. On juge les forces et les faiblesses des autres dans un remake du poker menteur. On jauge la performance, l’attitude, le niveau de confiance, l’acceptation de l’irrespect, les cadres de chacun

  • 2/ Phase d’obstacle :

Un problème survient dont on mesure les enjeux. C’est la pouponnière du bouc-émissaire, chacun va identifier et catégoriser si les autres sont facilitateurs ou perturbateurs de la résolution du problème. C’est l’apparition de reproches non factuels.

  • 3/ Phase de recherche de victime :

des signes de victimisation apparaissent. Se liguent alors de plus en plus de personnes accusatrices, le nombre de reproches augmente.

  •  4/ Phase de désignation :

le groupe a clairement créé un consensus autour de la personne. Chaque lieu de regroupement : salle de réunion, machine a café va sanctuariser cet état et le rituel d’expiation punitive peut se déclencher. Cette phase est critique car c’est aussi à ce moment qu’il est encore possible de faire machine arrière, de prouver justement que les accusations ne tiennent pas sur des faits tangibles, que la victime n’est pas porteuse de tous les maux.

  •  5/ Phase d’emballement :

celui qui jete la 1° pierre légitime et déculpabilise les autres. Pire, si le 1° accusateur est le dirigeant, son poids impose aux autres de le suivre et d’en rajouter. Celui qui n’aura fait qu’allumer la poudre va emballer le système.

  •  6/ Phase de dénouement :

La victime est soit innocentée (mais on l’aura à l’œil), la victime est condamnée (avec sursis ou peine). Dans tous les cas, aucune remise en question du système

  •  7/ Phase d’apaisement :

La victime est réintégrée, le collectif est réconcilé. Et le cycle peut ainsi reprendre dès l’apparition d’un obstacle qui ne manquera pas de resurgir…

Le lien avec l’analyse transactionnelle

Paradoxalement, comme l’âne chargé des maux de la cité, en acceptant le fardeau de la fonction, le bouc-émissaire se voile la face et croit endosser le rôle de la victime nécessaire et devenir le sauveur de l’organisation, qu’il sera célébré ainsi, qu’il obtiendra la reconnaissance et l’acceptation du groupe. Que nenni, aux yeux des autres tous ligués contre lui, il est uniquement considéré comme le persécuteur, le responsable du malheur, celui qui doit payer pour libérer le groupe du fardeau de la culpabilité.

Les avantages du rôle

Heureusement, il y a aussi des avantages à être bouc-émissaire. Tout d’abord, cela permet de se sentir important, d’avoir un rôle clé dans le groupe. En général il accepte ce rôle pour justement se sentir intégré dans le collectif. C’est donc une victime complice de son propre sort. Le groupe dont il fait partie a choisi implicitement et collectivement de vous confier cette mission. C’est d’ailleurs quelqu’un qui peut bénéficier d’un certain courage. Par exemple c’est lui qui peut être missionné pour annoncer les mauvaises nouvelles ou pour donner un avis contraire auprès de la direction. Il est prêt à chaque fois à monter d’un cran dans le sacrifice, pour le bien du groupe.

Parfois, ce rôle peut aussi révéler certains avantages si vous avez les épaules solides, du courage et de la résistance. La mission peut même devenir gratifiante, vous bénéficiez d’une sorte de reconnaissance sociale d’utilité. Vous avez accès à certains secrets dont le poids vous assure une certaine protection, et même une double protection :

le bouc-émissaire bénéficie du paradoxe de devoir être chéri autant qu’il est réprimandé, pour le maintenir en place.

Evidemment, que se passerait-il s’il lui venait l’idée de partir ? Quelqu’un d’autre devra endosser le rôle, et peu de personnes se bousculent.

Identifier le bouc émissaire

Généralement issu d’un service connexe, il est présent depuis longtemps dans l’entreprise. Son niveau de confiance est relatif. Si vous ne l’avez pas encore repéré, repensez à certaines situations, de réprimandes faciles. Devinez vers qui se tournent les moqueries, à qui attribue t’on le moindre malheur, celui ou celle qui porte la poisse? Si vous ne trouvez pas, vous augmentez vos chances d’être le dindon de la farce.

Comment sortir du rôle ?

 

Si le rôle ne vous convient pas, sortez du triangle. D’autres ont pu avant vous être perçus comme boucs-émissaires potentiels. Refusez d’endosser la moindre responsabilité de ce qui ne vous incombe pas. Ce sera d’autant plus difficile si la direction est complice du procédé. Il est parfois nécessaire de tout simplement quitter cet environnement devenu toxique. Avant d’en arriver à ces extrémités, voici un guide de survie à échelons variables :

  • Utilisez l’humour pour faire glisser des reproches incohérents. Ah c’est de ma faute si l’imprimante ne marche pas ? Oui sans doute, mais d’abord je vais devoir effacer du serveur l’historique de navigation de ton poste, et j’arrive dès que je finis de résoudre le conflit Israélo-Palestinien.
  • A chaque reproche ou attribution infondée de maux, demandez des éléments factuels sur la pertinence de votre responsabilité. Vous ne devez pas assumer davantage que votre responsabilité. Si la réponse n’est pas satisfaisante, exigez des excuses, vous remettrez du cadre sur ce que vous êtes capables d’accepter et du respect que vous exigez.
  • Faites également valoir régulièrement votre compétence et demandez de la reconnaissance, à la fois sur réalisation professionnelle et l’importance de votre rôle dans le succès global de l’entreprise, l’intégration dans les valeurs, votre engagement et tous les rôles qui nous définissent au-delà de notre fonction.
  • Liguez-vous avec les autres pour désigner un autre bouc-émissaire. Ne me jetez pas la pierre, c’est ce que font la plupart des gens, c’est même le 1° réflexe de survie en entreprise. Après tout, vous avez déjà pas mal subi, non ? ce serait pas mal de faire tourner la roue et de montrer que vous valez autre chose.
  • Si la dernière solution ne vous plait pas, vous pouvez devenir à votre péril, celui ou celle qui va proposer au groupe de regarder en face les propres dysfonctionnements internes, oser mettre un coup de pied dans la fourmilière pour faire avancer de manière constructive les défaillances structurelles. Vous irez au devant de fortes résistances, mais le jeu en vaut la chandelle, les changements exigent des sauts dans l’inconnu parfois violents, toujours brusques.

A quel moment commence t’on à voir apparaitre des boucs émissaires ?

Dès l’école, le bouc-émissaire est rapidement désigné. Même les professeurs valident implicitement l’existence de ce souffre-douleur au sein de la classe. Dans la cour, c’est celui qui va en faire trop pour se faire accepter. Ni populaire, ni 1° de la classe, ni cancre, il va relever les défis proposés par les réseaux sociaux, trop tardivement pour apporter du nouveau et trop tard pour déclencher l’approbation des autres. Son seul moyen d’exister et d’éviter les humiliations, endosser une fois de plus la cape de victime expiatoire. C’est de sa faute si son voisin a eu une mauvaise note, si la fille que le camarade populaire convoitait n’a pas voulu de lui, c’est forcément lui qui devra se dénoncer pour prendre les heures de colle, dire à la prof qu’elle a fait une erreur et apaiser ainsi les tensions du groupe.

Le regard que l’on porte à l’autre détermine notre conception du bouc émissaire. Qu’il devienne le souffre-douleur ou la bête noire, il n’est rien d’autre qu’une solution à des difficultés sociétales par lesquelles l’injustice et la violence sont les derniers ressorts.

Maupassant

 

En conclusion, le bouc-émissaire est un personnage complexe et ambigu. D’un côté, il permet de préserver l’équilibre et la cohésion d’un groupe en évitant de remettre en cause l’ensemble de ses membres. De l’autre, il subit une pression considérable et doit supporter le poids des erreurs de tous les autres. Mais surtout, il permet à tous les autres membres du groupe de se sentir un peu plus tranquilles en se disant que, même si tout va mal, au moins ce n’est pas eux qui sont désignés comme coupables.

 

Pour aller plus loin : Le Bouc émissaire, René Girard (Grasset)

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